Les 28 et 29 janvier derniers se sont tenues les 6e Journées de la justice pénale internationale
Comme tous les ans depuis désormais six ans, les acteurs de la justice pénale internationale se sont réunis à l’initiative conjointe du professeur Julian FERNANDEZ, directeur du centre Thucydide – Analyse et recherche en relations internationales (CT), et du professeur Olivier de FROUVILLE, directeur du centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire (CRDH), afin d’évoquer les dernières actualités, judiciaires et institutionnelles, de la Cour pénale internationale (CPI) et plus généralement des derniers développements du droit international pénal. Vaste programme, donc, qui a donné lieu à de riches échanges entre les intervenants et avec le public, en dépit du format numérique de ce colloque. En effet, l’ADN de ces Journées de la justice pénale internationale (JPI) est de permettre à différents publics de partager leurs expériences et avis, et de proposer un regard critique mais constructif sur le bilan et les perspectives de la justice pénale internationale, sur le plan local, national ou global. Et à ce titre, 2020 a constitué une année charnière qui, au-delà des difficultés indéniables de la Cour à être en capacité de répondre à un certain nombre de problématiques conjoncturelles et structurelles, a montré que la CPI pouvait faire preuve d’une résilience remarquable et ouvert des perspectives substantielles pour son déploiement dans les prochaines années.
Après un message d’introduction prononcé par M. EBOE-OSUJI, actuel président de la CPI, la première matinée a été consacrée à deux procédures ayant largement occupé la CPI en 2020 : le review process engagé à l’initiative de la Cour et l’élection du nouveau Procureur, le mandat de Fatou BENSOUDA arrivant à échéance le 15 juin 2021. Au-delà des questions de méthode, tous se sont accordés sur l’utilité de cet audit, démarche à la fois bénéfique, originale et risquée. Mais il était nécessaire que la CPI, à un moment charnière de son histoire, dans un contexte de remises en cause significatives, soit porteuse d’un vent de renouveau. Indéniablement, les 384 propositions formulées par les experts, qui concernent aussi bien des aspects très pragmatiques de la vie de la Cour (gestion des carrières, management, etc.) que son déploiement stratégique (lien avec l’Assemblée des États parties notamment), viennent nourrir un débat sain auquel prendra activement part la multitude d’acteurs donnant corps à la Cour : diplomates, praticiens, ONG, universitaires. Le review process a également eu un impact sur la stratégie de recrutement du nouveau Procureur. Ainsi, les candidats ont dû inscrire leur programme dans les sillons creusés par le rapport des experts, et répondre à des questions visant à clarifier leur vision de la mise en œuvre opérationnelle de ces propositions. Plus généralement, cette « managérialisation administrative » sous-tendue de la fonction de Procureur, que l’on peut déplorer, se traduisait dès la publication de l’avis de vacance par un souci affiché de faire la part belle aux compétences techniques des candidats prospectifs. Comme l’a noté l’un des intervenants, aucun des juges du procès de Nuremberg n’aurait été pré-sélectionné pour le poste… Mais il faut dire que celui-ci a profondément gagné en autonomie et en indépendance depuis 75 ans.
Un deuxième temps a été consacré à un retour sur l’actualité judiciaire, passage désormais traditionnel des JPI. Comme tous les ans, les Chambres préliminaires ont proposé des interprétations utiles et parfois audacieuses, répondant à des questions essentielles. Par exemple : est-il possible de sortir définitivement d’une situation issue du renvoi d’un État partie ? La réponse est pour le moment négative, mais interroge la capacité de la Cour à fermer des enquêtes ouvertes, qui pour l’instant se retrouvent reléguées à une forme d’hibernation sans doute dommageable à moyen terme. De même, la décision de la Chambre préliminaire I sur les Comores a montré toute la latitude d’interprétation du critère de gravité, entre norme juridique applicable dans des critères établis et impératifs pragmatiques liés au mandat limité de la Cour. Plus largement, cette question fait écho à celle des « intérêts de la justice », un critère d’ouverture d’une enquête qui peut sembler paradoxal de prime abord dans la mesure où il permet de ne pas donner suite à une communication ou au renvoi d’une situation où des crimes relevant de la compétence de la Cour ont pourtant été commis. Le cas afghan a permis aux juges de la CPI de s’interroger sur la mobilisation de ce critère par la Chambre préliminaire, sans pleinement en dévoiler la substance. Par ailleurs, le contentieux sur les réparations continue à soulever un certain nombre de questions problématiques variées. Au-delà des délais significatifs, quel est l’impact symbolique pour les victimes d’une condamnation substantielle qui ne pourra pas être suivie d’effet, le coupable étant indigent et le Fonds au profit des victimes géré par la CPI ne pouvant verser des sommes aussi conséquentes ? Autre point de difficulté : la procédure permet-elle réellement à la Défense de formuler des observations utiles, lorsqu’elle ne reçoit que des demandes de réparation caviardés, et ne peut s’appuyer sur des éléments tangibles pour confronter le récit ?
Le troisième temps de cette première journée a été consacré à l’exploration d’autres mécanismes de justice pénale internationale : les tribunaux ad hoc et hybrides. Les Chambres spécialisées pour le Kosovo (CSK) constituent ainsi une expérience originale, qui a soulevé un certain nombre de questions. La première d’entre elles concernait l’intérêt d’établir un autre tribunal pour les crimes commis dans une situation où le Tribunal pénal international pour l’ex Yougoslavie (TPIY, 1993-2017) avait déjà mené à terme un nombre important de procédures. Il est en fait apparu que les enquêtes du TPIY avaient pu être limitées dans leur volet kosovar, d’où l’utilité des CSK. Celles-ci ont d’ailleurs été structurellement conçues comme une institution locale, créée par un amendement constitutionnel en 2015. Cette hybridation avec le système judiciaire local permet une meilleure effectivité de son action, notamment grâce aux pouvoirs policiers dont elle bénéficie. Autre expérience importante : le Tribunal spécial pour le Liban (TSL). Celui-ci a été la première expérience de justice pénale internationale au Moyen-Orient et a bénéficié d’un fort soutien politique, qui s’est notamment traduit par un financement significatif. Le TSL a voulu constituer une expérimentation juridique originale (procès par défaut, bureau de la défense conçu comme un organe indépendant, place privilégiée du droit libanais), qui n’a malheureusement pas été pleinement concluante.
Après une première journée tournée vers l’international, la matinée de la seconde journée s’est intéressée à l’exercice national de la justice pénale internationale. Tous les intervenants se sont accordés sur l’extraordinaire vitalité des procédures ouvertes devant le juge interne pour des crimes de droit international. En témoignent ainsi les 154 affaires en cours devant le Parquet national antiterroriste français (dont relève le « Pôle crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre »), les récentes arrestations de membres du régime syrien ou de fugitifs rwandais, ou encore les affaires présentées en dehors des places fortes de la compétence universelle, par exemple la Hongrie ou la Lituanie. L’année 2020 a également vu des États mettre en place des procédures uniques. Ainsi, la Finlande, de manière novatrice, va délocaliser une partie des audiences au Libéria, ce qui demeure unique. Plus généralement, tous les intervenants ont souligné le rôle crucial joué par la politique d’entraide entre les États et la nécessité de la coopération pour assurer le succès des poursuites. L’Union européenne est à l’avant-garde sur ces questions et les réseaux spécialisés d’échange de pratiques, de formation et d’information constituent une aide précieuse pour assurer un développement de cette justice pénale internationale nationale. Le bilan est donc encourageant et les innovations, considérables.
Enfin, le dernier temps de ces JPI s’est tourné vers différentes problématiques innervant toutes les actions et réflexions de la CPI et des praticiens de la justice pénale internationale en général, autour de quatre communications thématiques : justice et politique, justice et communication, justice et contexte, justice et société. Ces thèmes ont permis de faire ressurgir des sujets fondamentaux ayant guidé la réflexion des premiers législateurs, dès les premières observations de Lauterpacht ou de Lemkin au début des années 1940. L’histoire de la justice pénale internationale est en effet celle d’un élan formidable, international, né d’une indignation profonde, d’un sentiment de solidarité et du constat d’un besoin impérieux de réformer certains aspects de la justice internationale. La CPI est aujourd’hui la cible de critique récurrentes, en particulier sur son caractère politique. Indéniablement, la justice pénale internationale dans son ensemble souffre d’un défaut de visibilité qui, aujourd’hui, est devenu criant. Or, les crimes jugés par les juridictions pénales internationales ébranlent la société dans son ensemble, et la gravité de ces crimes heurte la conscience de l’humanité. Pour répondre pleinement à cette demande de justice de l’humanité, pour sortir de l’ornière profondément creusée de l’accusation de politisation, de justice à deux vitesses, ces juridictions doivent expliquer leur action, montrer leur indépendance, leur impartialité, et être vues dans leur efficacité. Ce n’est qu’ainsi qu’elles pourront fournir des effets sociaux significatifs et constituer un outil pour les populations victimes de violations de leurs droits, et plus généralement, pour participer au processus de réparation et de régénération des sociétés dans lesquelles ces violations interviennent.
On le voit, les 6e JPI ont nourri des réflexions variées et approfondies, touchant à nombres de sphères de la réflexion juridique sur le droit international pénal. Ce rendez-vous annuel sur la justice pénale internationale, certainement le plus important dans le monde francophone, permet de fournir un instantané indispensable tout en replaçant l’ensemble dans des dynamiques au plus long cours. Formulons donc le souhait que la formule de Frédéric MÉGRET, qui a conclu ces journées, soit suivie d’effet : « Les pandémies passent, mais les journées de la justice pénale internationale restent. ». Rendez-vous est d’ores et déjà donné en janvier 2022 en présentiel pour les 7e JPI, qui atteindraient alors l’âge de raison !